Extraits commentés de l’observatoire photographique des paysages de l’archipel Guadeloupe

Très impliquées dans la phase d’élaboration de l’observatoire, la paysagiste et l’architecte conseil de l’État se sont emparées d’une première série de photographies pour les commenter avant leur départ de la Guadeloupe vers une nouvelle affectation.

Leurs regards affûtés par leurs années d’expérience et de travail sur le territoire offrent une lecture du cadre choisi par le photographe et des scènes exposées dans ce qu’elles expriment, révèlent ou laissent ressentir. Sans recherche et prétention de vérité, le récit proposé viendra s’inscrire comme point de départ de l’histoire de ces points de vue, dont l’écriture et le scenario évolueront au fil des reconductions photographiques réalisées.

Ce premier extrait de l’observatoire est complété par les commentaires du photographe sur les intentions photographiques qu’il a choisi d’exprimer sur chacune de ses images.

La DEAL envisage d’inviter d’autres auteurs issus d’horizons professionnels différents à analyser l’ensemble des points de vue de l’observatoire. Cette démarche permettra de croiser les regards par une mosaïque d’impressions et de livrer une forme d’expression diversifiée de ce qui est montré des paysages de l’archipel Guadeloupe.

Ces éléments et l’ensemble des photographies seront prochainement accessibles sur un site Internet dédié en cours d’élaboration.

Textes :
Yolande GUYOTON (paysagiste-conseil de l’État),
Aline HANNOUZ (architecte-conseil de l’État)

Photographies :
Sylvain DUFFARD (juillet 2016)
(clichés anciens annotés)

  • Point de vue n°001, rue Baudot, Pointe Noire

Intention photographique : Bien que légèrement décentré sur la droite de l’image, l’effet de symétrie (de césure) engendré par le dispositif signalétique est l’élément qui a déclenché la vue.

Ici tout se passe ailleurs.

Volets fermés et palissades de tôle font échos aux panneaux. Le centre-ville est fléché ailleurs.
Les cases de bois décolorées se désagrègent, elles alternent avec des terrains vacants.
Des routes occupent le premier plan, la nature bloque l’arrière-plan, les fils électriques strient le ciel.
Dans cet environnement d’un autre temps, un passant est suspendu au panneau « stop ».
Pas d’ombre à ce carrefour où l’on s’arrête le temps de se laisser guider.

Les anciennes occupations de l’espace sont-elles obsolètes ? Comment peuvent-elles muter au regard des usages actuels du territoire ? (AH)

  • Point de vue n°050, route des Marsoins, Gourbeyre

Intention photographique : Si l’on concentre le regard sur la portion d’espace occupée par le lotissement et ses deux riveraines échangeant dans les derniers rayons du jour, l’imagerie à laquelle renvoie - pour moi - la vue est celle de la "suburb américaine" (la périphérie est ici celle de Basse-Terre). Mais en levant les yeux, la dense forêt puis le volcan émergeant tout juste des nuages tandis que la nuit tombera sous peu, c’est vers une tout autre iconographie que nous renvoie le paysage photographié…

Voisinage

Il est de ces voisinages auxquels on s’habitue, on s’attache, au point de s’inquiéter régulièrement de leur état de santé, d’être contrarié par leur absence momentanée ou de se réjouir de les voir dès le matin… lorsque les conditions météorologiques sont favorables.

Disons-le ! Le voisinage de la Soufrière est préoccupant. La « vieille dame endormie » et paisible a l’humeur incertaine. Et pourtant, cette proximité est possible, la vue recherchée.

Il n’est pas question de résignation mais de chance, de privilège, confortant chaque voisin dans le rôle de veilleur. (YG)

  • Point de vue n°022, plage du bourg, Deshaies
Ed. Boisel, Archives départementales de la Guadeloupe

Bodlammè en mouvement

Comparé à un cliché plus ancien, ce point de vue de la plage de Deshaies a bien changé : les barques du premier plan ont cédé la place aux constructions. Plus dense, enchevêtré, le bâti s’est rapproché de la mer, entamant le morne. Un ponton s’avance sur l’eau, le cimetière apparaît. De rares bateaux subsistent, sans filet de pêcheur.

Les baigneurs et les flotteurs colorés sur l’eau témoignent de la permanence des pratiques en ce lieu. Activités de pêche ou de restauration côtoient la baignade, bien que celle-ci semble confidentielle. L’avancée des constructions sur l’eau, aux dépens des cocotiers, modifie substantiellement la perception visuelle de ce cadrage.

Serait-ce la conséquence d’un épisode cyclonique ? La disparition de ce plan végétal et de la mise en perspective de ses verticales enlève de la profondeur à ce cadrage. La plage est privée d’ombre. Tous les éléments visibles se trouvent également exposés à la même lumière franche et directe.
Les courbes du relief et du rivage prennent d’autant plus de force, visuellement.

Comment faut-il, à l’avenir, imaginer la relation des bourgs au bord de mer ? (AH)

  • Point de vue n°025, rivière Bras David, Petit-Bourg

Intention photographique : Réalisé dans le lit même de la rivière Bras David, la scène de baignade prend place au beau milieu d’un chaos rocheux. Seule la survenue de quelques carbets en partie droite de l’image révèle le caractère aménagé du site.

C’est dimanche !

Même sans écouter la séquence sonore qui accompagne cette photographie, ce paysage fait partie de ceux que l’on ne peut pas voir sans les entendre. Bien sûr, tout se tient dans les détails, les carbets partiellement dissimulés dans la ripisylve, les personnages dans le lit de la rivière, pour se baigner ou pour profiter de l’instant, du lieu, de l’ambiance… Ce paysage évoque les cris d’enfants, les éclaboussures et jeux d’eau, les rassemblements familiaux, la pause dominicale, et la quête de fraîcheur.

Voici bien, pour moi, une représentation d’un paysage familial, si cette catégorie existait. Et pourquoi pas ? Je le classerai pour ma part, ni dans un paysage « remarquable », ni dans un paysage quotidien. Mais dans un troisième type : un paysage « d’entre-nous », de celui qui est « plébiscité », partagé, et qui se prête aux invitations et aux souvenirs immortalisés.

Dans une autre temporalité, à quelques jours ou quelques heures près, le paysage retrouvera sa quiétude, et un bruit accordé à son tempérament lunatique, furieux en temps de pluie, apaisé (même trop) en période de carème… Et alors le paysage raconterait une toute autre histoire, celle de ces pierres aux angles arrondis par l’eau et leur voyage. (YG)

  • point de vue n°051, Grand Camp, bd de la Rénovation, Les Abymes

Intention photographique : Ce point haut offre un large champ de vision sur les grands ensembles de Grand Camp, objets d’une opération de renouvellement urbain, en cours. La série chronophotographique dont cette image constitue le point de départ devrait nous renseigner sur l’évolution d’un des secteurs urbains à enjeux de l’agglomération pointoise.

La ville avance

En témoignent les grues. Les rénovations se succèdent.
Les nouvelles opérations, menées dans le cadre de l’ANRU, refaçonnent ce point de vue.

Au premier plan, la buse rappelle la nécessité de la gestion des passages de l’eau sur ce territoire, comme préambule à tout aménagement.

De l’importance des infrastructures et de leur organisation réfléchie dans l’aménagement du territoire. (AH)

  • Point de vue n°013, Marquisat, Capesterre-Belle-Eau

Intention photographique : "Les formes spatiales urbaines sont des objets spatio-temporels provenant de passés divers, qui s’inscrivent dans l’espace de la ville, placé toujours dans le présent." Cette citation de la chercheuse brésilienne Maria Luiza Carrozza propose ici, peut-être mieux qu’ailleurs encore dans l’itinéraire de l’Observatoire, un juste écho à mes intentions photographiques.

Palimpseste

La quatrième dimension s’invite dans le visible.

Tout est là ! Synthèse de l’histoire au présent, de ce qui passe, ce qui persiste et ce qui s’installe…
La composition est fascinante, car elle témoigne de ce qui rend complexe notre société : ses attentes, ses contradictions, ses regrets, ses aspirations…
C’est un défi que de résoudre l’équation du temps,
Garder … mais garder quoi ? l’essentiel, l’important, ce qui est rare ou tout simplement ce qui a du sens ?

Il ne faut pas cesser de s’interroger sur la fabrique de notre paysage du quotidien, les choix opérés, l’invention rendue nécessaire pour donner cohérence à ce palimpseste et pour laisser construire ce qui n’est pas encore du patrimoine mais qui pourrait le devenir. C’est une responsabilité de continuer d’écrire, mais est-on assez vigilant ? Quelles créations de notre présent trouveront grâce aux yeux des prochaines générations ?
Enfin quoi ! Doit-on se résigner à ne pas hanter le paysage de notre futur ? (YG)

« … bref, les espaces se sont multipliés, morcelés, diversifiés. Il y en a aujourd’hui de toutes les tailles et de toutes les sortes, pour tous les usages et toutes les fonctions. Vivre c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner » Espèces d’Espaces. Georges PEREC

  • Point de vue n°035, Dubouchage, Pointe-à-Pitre

Intention photographique : La Darse de Pointe-à-Pitre est ici vue depuis le lieu-dit Dubouchage. Visuellement, un jeu d’échelles opère entre les machines usagées entreposées au premier-plan et l’architecture contemporaine du MACTe et des résidences d’habitation qui le jouxtent. De l’autre côté du bassin, les imposants portiques de la zone industrielle de Jarry-Houëlbourg offrent un point de repère précieux concernant un secteur du port autonome susceptible de connaître de profondes mutations dans les années à venir.

Une relation

Cette vue témoigne de la complexe relation que Pointe-à-Pitre entretien actuellement avec la mer.

Le port de commerce est parti sur le rivage voisin, en face.
Le Mémorial Acte, bâtiment emblématique érigé sur l’ancien site industriel de Darboussier, ponctue l’entrée de la darse.
Au premier plan, des étals de pêcheurs disséminés et autres objets ménagers complètent ce tableau chaotique, où des aménagements sommaires et dégradés côtoient un objet architectural sophistiqué.

Ces berges offrent un potentiel à ce jour inexploité et l’opportunité pour la ville de renouer une relation à la mer sur des bases contemporaines où l’histoire, la pêche, la culture, les usages du quotidien et le tourisme pourraient cohabiter. Un aménagement favoriserait une mise en scène de ces multiples usages et révèlerait avec délicatesse la relation à l’eau à rétablir avec la place de la Victoire attenante. (AH)

  • Point de vue n°027, Route de Paul, Lamentin

Intention photographique : La terre est rouge, riche dans ce fond de vallon. La petite route qui serpente au milieu des parcelles agricoles nous dit pourtant, par l’entremise d’un mobilier urbain dédié à l’éclairage nocturne, que l’on est ici aux marges de l’agglomération pointoise.

Élément-terre

La parcelle fraîchement travaillée redonne ses lettres de noblesse à la « terre », à sa fonction nourricière et, si cela était possible, nous pourrions même sentir la matière, son odeur, sa texture. À défaut d’une technologie appropriée, nous pouvons l’imaginer !

Puis les termes de pédologie, complexe argilo-humique, itinéraire de culture s’imposent à l’esprit, s’attardent tant la fonction vivrière semble aisée à l’observateur… Même l’étroite ravine en arrière du champ labouré semble de bonne augure, ajoutant à la scène la présence supposée de l’eau.
Sur certains sols de l’archipel de Guadeloupe, cette activité demande patience, persévérance pour être féconde, et le rester. Cette opiniâtreté, cette obstination, c’est l’empreinte sans cesse redessinée, remodelée, le geste réitéré de l’homme sédentaire dans son lieu élu.

Mais un indice s’insinue dans cette approche apportant une tension perceptible à la scène exposée. Les candélabres le long de la voie révèlent la proximité habitée, sans pour autant la quantifier… Tout cela se situe hors cadre. C’est ce qui confère au cliché une tension évidente !
Et cet indice nuance la première approche. D’autres termes surgissent : droit du sol, stratégie foncière, étalement urbain, planification du territoire… et les choix opérés qui seront connus dans les prochaines campagnes de reconduction. (YG)

  • Point de vue n°090, Impasse du chevalier St Georges, Pointe-à-Pitre
(A. Catan, 1977)

Le progrès à l’échelle du temps

Sur l’image en noir et blanc, les tours de la Gabarre en fond s’érigent comme un véritable progrès, claires et hautes, en perspective d’une rue basse et grise, réponse pour sortir de l’insalubrité.

Aujourd’hui, ces tours sont dépréciées. Pointées du doigt pour leur vétusté, seuls leurs défauts sont observés.

Elles constituent pourtant des éléments de patrimoine. Leur situation est exceptionnelle, à l’embouchure de la Rivière salée dans le Petit-Cul-de-Sac Marin, face au grand pôle économique de Jarry.

Comment reconsidérer aujourd’hui ce patrimoine immobilier, en dehors d’une logique de table rase ? (AH)

  • Point de vue n°072, Damencourt, Le Moule

Intention photographique : Cet espace vacant se situe dans un entre-deux. Localisé entre le commercial de Damencourt et le boulevard maritime Lucette Michaux Chevry, il semble attendre le projet d’aménagement dont, immanquablement, il fera l’objet dans les années à venir.

Interfaces

Interface spatiale.
La composition, retenue par le photographe pour ce point de vue, captive en mettant en lumière ce paysage d’interface. Il existe, non pas « à la marge », mais bien comme une pièce nécessaire, entre deux lieux : celui d’où l’on vient, et celui où l’on se rend. Mais cela suffit-il pour considérer cet espace comme un lieu ?
Très certainement, du point de vue des usagers, de ceux qui le « pratiquent ». Mais ces traversées du quotidien, qui s’empruntent à pied, par nécessité, sont-elles assez courtoises pour ceux qui les arpentent ? Il manquerait si peu pour que l’espace gagne en aménités.

Interface temporelle.
L’attente. La végétation rudérale trouve dans cet espace délaissé une place de choix démontrant, là encore, sa relation commensale avec l’homme. Exceptée cette dynamique végétale opportuniste mais inconsciente du caractère temporaire de cet état, l’espace est en attente, entre deux états, un projet passé et un projet futur. En chimie, en physique, il serait question « d’équilibre »…
Gagner du temps. La ville a horreur du vide inutile, du gaspillage de l’espace sauf à le sanctuariser, l’esthétiser ou lui donner un usage. Mais ici précisément, pas de projet, pas encore, pas d’intention conceptrice, pas encore.
Alors l’habitant construit son paysage. L’espace a trouvé un usage spontané. L’espace devient une aubaine, une facilité pour les piétons. Il témoigne assurément d’un principe qui manque.
Du provisoire. En attendant la prochaine mutation urbaine, en souhaitant qu’elle autorise la continuité de circulation douce, et qu’elle en fasse un projet de paysage. (YG)

  • Point de vue n°007, Pointe de la Grande Anse, batri, Trois-Rivières

Intention photographique : Le littoral est ici soumis à un vent soutenu. En témoignent les formes végétales qui surplombent la falaise visible à droite de l’image. La scène de pêche "à la senne" apporte une profondeur historique à la vue.

Au vent

Voici un paysage façonné davantage par les aléas que par l’homme. La force éolienne a dompté, sculpté la végétation, au point que, même sans le moindre souffle, le paysage reste profondément marqué, comme figé dans une posture « au vent ».

Les signaux d’alerte sont nombreux, un chaos des blocs échoués, les falaises se disloquent en arrière plan, exposant leur flanc. Même les arbres se cabrent, se plient… jusqu’au seuil de rupture où ils finiront par rompre.

Avec le temps, le lieu devient de plus en plus hostile à l’homme et à « l’habiter ». Il faut céder du terrain, reculer dans les terres, se soustraire à un littoral trop exposé.
Mais le lieu reste fascinant, et propice à la pêche aux pisquets, les lendemains de grand vent. (YG)

  • Point de vue n°056, canal des Rotours, Morne-à-l’Eau

Intention photographique : Le Canal des Rotours s’écoule paisiblement. Ses rives voient ici se succéder de fragiles pontons destinés à l’accostage des bateaux à moteurs. Il est ici avant tout question d’ambiance, d’atmosphère.

De Rotours en retour

Le canal des Rotours est la ligne d’eau qui traverse le paysage sucré salé de Grippon en Mangrove, Il a rendu possible ce voyage qui se prolongeait par rivière salée vers la distillerie de Darboussier.

C’est désormais un trait d’union. Quand la nature hors la ville rapproche les habitants, de Morne-à-l’Eau et de Vieux Bourg ; quand la nature en ville rend possible les vis-à-vis, les rives-à-rives…

Morne-à-l’Eau a choisi son cœur, il est fait d’eau, d’histoire, et de fierté. Morne-à-l’Eau choisit son destin, il regarde vers demain. Demain sera patrimoine. (YG)

« VOIX UNE
… ce m’est tout un par où je commence,
Car là même à nouveau je viendrai en retour
VOIX DEUX
… mais il faut se souvenir de celui qui oublie par où mène le chemin…
 »
Patrick Chamoiseau, l’Empreinte à Crusoé

Les photographies sont la propriété de la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement de la Guadeloupe ou de tiers l’ayant autorisée à les utiliser.

Leur reproduction, transmission, modification, réutilisation sur un support papier ou informatique ne sont autorisées que pour un usage institutionnel ou personnel et privé conforme aux dispositions de l’article L 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, et sous réserve du respect des conditions suivantes :

  • Gratuité de la diffusion ;
  • Respect de l’intégrité des documents reproduits : pas de modification ni altération d’aucune sorte ;
  • Indication claire de la source et de l’auteur avec la mention « Observatoire photographique des paysages de l’archipel Guadeloupe - Sylvain Duffard photographies ».

En aucun cas ces reproductions ne sauraient porter préjudice aux droits des tiers. Les reproductions, les transmissions, les modifications, les réutilisations à des fins publicitaires, commerciales ou d’information sont interdites.

Partager la page

S'abonner