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OPP Archipel Guadeloupe Observatoire photographique des paysages de l’archipel Guadeloupe

OPP Archipel Guadeloupe
République Française

Veille photographique de la dynamique des paysages emblématiques, exceptionnels et quotidiens de l’archipel de la Guadeloupe

L’observatoire mis en récit... par Simone SCHWARZ-BART


Point de vue n°15 : plage de Ste Claire, Goyave
(ce point de vue est également commenté par Jean-Christophe Robin, urbaniste)

Le Royaume des Vents

Le paysage est une œuvre d’art inégalable, au plan plastique, esthétique, mémoriel, et chacun de nous a son paysage référentiel qui le fonde dans son être au monde, devient son témoin. Dans ce sens, j’appartiens à la plage de Sainte-Claire tandis qu’à sa façon, elle m’appartient à son tour. C’est pourquoi, quand je veux me souvenir de moi, je prends la route de L’Abandonnée, de Barthelemy fleuri, aujourd’hui dépouillées de leurs champs de goyaviers et de leurs confitureries, je délaisse le merveilleux pont Eiffel qui enjambe la petite rivière à goyave, et j’aboutis au chemin qui me mène à moi-même, à ma plage de sable noir, brillant, cristallin. C’est la route des vents d’avant, c’est mon enfance qui me revient, lorsque nous venions goûter en famille, sous les amandiers qui formaient carbet, et guetter avec quelque ancien la tombée du crépuscule et le vol des hérons blancs en route vers leur refuge nocturne de l’Ilet Fortune.

Maintenant, je m’assieds sous le carbet de tôle ondulée, face à la mer d’où nous venons, débarqués dans cette écume qui est la dentelle même de notre île papillon. Comme toujours, un mage m’a précédé, jamais le même, toujours le même, passeur de mémoire, tandis que nous nous évadons dans la spirale des temps décalés. Alors, au fil des mots, apparaissent les cabanes des pêcheurs, avec leurs barques bariolées attachées aux raisiniers de la plage. Vers l’embouchure de la petite rivière à goyave, s’avance une pointe où s’ébattent une bande d’enfants rieurs, piailleurs, en jubilation absolue. Ceux qui lancent leurs courts filets les ramènent chargés de minuscules poissons d’argent, tandis que les autres sortent par poignées des palourdes des fonds meubles et sablonneux de la mer toute plate à cet endroit. Du côté des adultes, devant les cabanes, le feu crépite déjà, les branches sèches sont devenues braises, sur lesquelles nos petits pêcheurs étendent leurs prises miraculeuses, fiers comme Artaban : le temps du festin n’est pas loin, et comme dans ce beau conte créole, nous mangeons à l’odeur.

Alors nous nous levons, et nous nous dirigeons vers la pointe opposée, vers les falaises et la vue grand angle sur le village de Sainte-Marie. Le sable est doux, scintillant, volcanique. Nous avançons ainsi à la recherche des rails sur lesquels les wagonnets chargés de canne venaient autrefois jusqu’au quai, déverser leur cargaison sur les chalands qui partaient en direction de l’usine Darboussier, au Carénage. Mais la trace des ces rails s’est elle aussi perdue dans le sable de la route des vents.

L’invisible se déploie sous nos yeux, mais dehors, devant nous, l’eau est là, vibrante d’éléments bienfaisants, de surprenants courants chauds, créateurs de bien-être. Le changement est permanent, mais cependant, les arbres, les bois demeurent. Ils furent nos premiers alliés, et notre farouche résilience vient à coup sûr de cette protection qu’ils n’ont cessé de nous prodiguer… Mais peu à peu, arrive le crépuscule, nous pénétrons dans le domaine particulier de l’intuition, de la vibration, de la sensation muette. La poésie sans mot qui se dégage de la contemplation des nuages au vent, porteurs de l’énigmatique escadron des hérons blancs, ponctuels, glorieux, en route vers leur refuge nocturne de l’îlet Fortune nous saisit.

Simone SCHWARZ-BART,
juillet 2020


Simone Brumant est née en 1938 à Saintes d’un père militaire et d’une mère institutrice, tous deux natifs de la Guadeloupe. Elle rentre au pays, à l’âge de trois mois et fait ses études à Pointe-à-Pitre, à Paris, puis à Dakar. Son œuvre est imprégnée de l’Afrique, de la Caraïbe et de l’Europe.

En 1967 elle co-signe son premier roman avec son époux, André Schwarz-Bart : Un plat de porc aux bananes vertes, histoire des exils antillais et juif en miroir.
Puis en 1972, Simone Schwarz-Bart écrit seule Pluie et vent sur Télumée Miracle qui, encore aujourd’hui est considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature caribéenne. « Un best-seller inépuisé et inépuisable » dira le romancier Patrick Chamoiseau. Simultanément arrive Ti jean l’horizon en 1979.

Elle écrit plus tard, en 1989, Ton beau capitaine, une pièce de théâtre étonnante et ciselée en un seul acte, avant de publier, avec son époux, une encyclopédie en sept volumes Hommage à la femme noire mettant notamment à l’honneur toutes ces héroïnes noires absentes de l’historiographie officielle.

En septembre 2006, elle est promue au grade de commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres. À la mort de son mari, elle retrouve le manuscrit de L’étoile du matin qu’elle fera publier en 2009.